Profitons du silence.
時田有美
César Franck - Prélude, Fugue et Variation Op.18 / Yumi Tokita
Tu as un parcours relativement atypique qui t’as fait quitter le Japon rural pour lancer ta carrière de pianiste en Europe : quel a été l’élan qui t’a poussé à prendre une telle décision ?
C’est sous les conseils de mon professeur Satoshi Ishiyama à mon université d’Oita que j’ai choisi de partir d’abord à Paris. Lui-même y avait vécu plusieurs années, ainsi il maîtrisait le sujet. Je me suis lancée dans l’aventure car je ressentais le besoin de me lancer un défi et de me surpasser pour continuer à progresser. Au début, ma famille fut surprise par ma décision, mais les années passées à me consacrer studieusement au piano furent suffisantes
pour prouver mon dévouement à ma passion et ils finirent par me soutenir.
"J’aime voir la musique comme des couleurs, et le silence comme du noir ou du blanc. Je ne pense pas que les couleurs seraient aussi belles si elles n’étaient pas contrastées par la sobriété du blanc et du noir."
Quelles sont les influences qui nourrissent ta musique ?
Elles sont diverses. Bien sûr, il y a d’abord mes professeurs. Mon parcours m’aura d’ailleurs poussé à choisir de mieux en mieux mon entourage. Mais il y a aussi naturellement les expériences de la vie qui impactent je pense les émotions que je tente de transmettre.
Comment choisis-tu les morceaux que tu interprètes ?
Avant tout vis-à-vis de la taille de mes mains ! (rire) Je plaisante à moitié, mais contrairement à nombre de pianistes, j’ai de petites mains donc certains morceaux comme le Concerto no.2 de Rachmaninov peuvent me paraître risqués. Non, en réalité mon choix des morceaux se fait simplement lorsque je les entends lors de concerts, si un coup de coeur s’opère. Il y a également certains morceaux comme les Variations sur un thème de Corelli – Opus 42 de Rachmaninov que je connais depuis bien longtemps et qui restent dans un coin de ma tête, jusqu’au jour où je me lance pour les jouer.
La taille de tes mains est-elle un malus en tant que pianiste ?
Oui et non. A vrai dire, je ne suis pas très grande non plus, donc atteindre toute la largeur du piano peut se révéler corsé, au point que je me retrouve parfois contorsionnée ou à utiliser un élan avec mes pieds voire à me lever ! Mais je ne suis pas à plaindre non plus et d’un autre côté, ce « malus » me pousse à exercer mon intellect et ma rigueur pour trouver des astuces. Il y a toujours des solutions pour s’en sortir.
Comment qualifierais-tu ton jeu ? Qu’a-t-il de différent ?
Il est courant que les morceaux que je joue durent plus longtemps que la moyenne. Mais ce n’est pas volontaire. Il se trouve que je me concentre non seulement sur chaque moment mais aussi sur ma posture, et cela prend un temps supplémentaire. On m’a aussi souvent notifié que je travaillais particulièrement les silences. En effet, on pourrait croire que lors des silences on ne joue pas, mais pour moi si. Si l’on jette un œil sur une partition en partant de ce principe, on se rend compte que quasiment 50 % de ce qui y est inscrit sont des silences. Après tout, c’est du silence que naît la musique non ? J’aime voir la musique comme des couleurs, et le silence comme du noir ou du blanc. Je ne pense pas que les couleurs seraient aussi belles si elles n’étaient pas contrastées par la sobriété du blanc et du noir. Lorsque je me produits en concerts, je ressens que lors des silences, mon public est dans l’expectative et retient sa respiration. Ce sont des moments magiques où tout le monde écoute et fait du silence quelque chose de précieux : le public prend alors part au concert et j’adore ça.
Dans notre vie, le silence est souvent craint et pourtant je pense que d’un point de vue philosophique il peut être synonyme de calme et de paix. C’est pourquoi j’ai choisi comme motto « Profitons du silence »… En tant qu’artiste j’aimerais promouvoir les bienfaits du silence.
Quel regard portes-tu sur la musique classique en général ?
Je pense que la musique classique a ce quelque chose de beau qu’elle fut créée à une époque où les enregistrements n’existaient pas encore. Elle a dû être transmise par des représentations vivantes et je pense qu’il n’y a pas meilleure preuve pour la qualité d’une musique que son épreuve au temps. C’est pourquoi jouer de la musique classique est pour moi un honneur et une grande responsabilité car en plus de transmettre une œuvre, je transmets une part de la culture occidentale.
Quel est ton rêve ?
Je veux remplir mon rôle qui est de transmettre la beauté et la profondeur de la musique classique à un maximum de personnes.